Alimentation sensorielle en pratique : le rôle de l’olfaction

Si nous faisons rentrer deux personnes dans une même pièce contenant un panier de fruits : l’un trouvera que ça sent la mangue, l’autre la banane. Tout simplement car ces deux personnes sont uniques et indépendantes, et que leurs besoins au même moment sont différents. Mais alors comment notre système olfactif nous guide-t-il ?

Selon Guy Claude Burger, père de l’instinctothérapie née dans les années 1960, et Dominique Guyaux[1], qui parle de crudivorisme sensorielle, le sens de l’olfaction est la base de notre alimentation originelle. C’est le gardien d’entrée des aliments dans l’organisme. Le nez humain serait capable de discriminer un très grand nombre d’odeurs différentes, de l’ordre du billion, c’est-à-dire de l’ordre de mille milliards[2], ce qui est bien plus que le nombre de couleurs que nous pouvons distinguer ! Les performances du système humain sont aujourd’hui bien connues : il est capable d’identifier la composition biochimique d’une odeur qui se dégage d’un aliment brut, c’est-à-dire naturel et non transformé, quelque soit la concentration des substances présentes. Il génère ainsi l’attrait ou le rejet d’un aliment, via la notion de plaisir, en fonction des concentrations identifiées face aux besoins de l’organisme. Donc théoriquement, nous devrions avoir uniquement envie des aliments dont nous avons besoin et nous détourner de ceux dont nous n’avons pas besoin. C’est notamment pourquoi les enfants vont raffoler d’un aliment pendant un ou plusieurs jours, à parfois ne vouloir consommer que celui-ci, alors que du jour au lendemain, le « j’adore » se transformera en « je n’aime plus » … jusqu’à ce que leur envie de ce même aliment revienne. Les enfants sont encore connectés à leur instinct, ils savent écouter leur corps, aidons-les à conserver cette connexion à leurs sensations, à prendre leur temps à table alors qu’on a plutôt tendance à leur dire « dépêche-toi de finir ton assiette ! », même quand ils n’ont plus faim.

 N’hésitez pas à vous reconnecter à votre enfant intérieur, à vous inspirer de vos enfants si vous en avez, et à prendre du temps pour observer nos aliments, les sentir, les écouter, les toucher, les goûter. Faites du repas une fête consciente, et non une obligation. Si l’aliment en question ne vous satisfait pas, ne vous forcez pas à le manger. À contrario, si un aliment natif (naturel) nous attire, consommez-le jusqu’à ce que nous vous n’en ayez plus envie.

 

Aliment Caractéristiques
NATIF Aliment naturel tel qu’il est possible de le trouver dans la nature. Aucune manipulation physique ou chimique n’a eu lieu avant ingestion.
MANIPULÉ Aliment natif ayant subi une transformation mécanique (lavage, découpe, râpe, pressage, etc.).
TRANSFORMÉ Aliment natif ou manipulé ayant subi des transformations chimiques (cuisson, congélation, surgélation, etc.) ou biochimiques (irradiation, etc.).

Tableau : Classification des aliments évoqués par Dominique Guyaux en crudivorisme sensoriel

 

Les personnes pratiquant ce mode d’alimentation ont évoqué un plaisir bien supérieur, plus précisément de « qualité et intensité exceptionnelles », à celui connu dans l’alimentation traditionnelle. Guy Claude Burger nomme ce plaisir « phase lumineuse » de l’alimentation crue et sensorielle, un plaisir très intense qui irradierait dans tous le corps. Si nous répondons aux besoins de l’organisme par la consommation d’un aliment natif, nous sentons en général l’énergie qui rentre dans le corps et qui le parcours. Mangez avant tout ce qui vous nourrit avant de manger ce qui vous remplit.

 

  • Face à l’alimentation végétale, vivante, naturelle, le corps sait : l’instinct qui survient au travers des différents sens (odeur, vue, goût, etc.) est toujours juste. Vous mangerez toujours ce dont votre corps à besoin dans les quantités dont il a besoin. Cela demande juste un peu de pratique pour retrouver cette connexion à son corps.
  • Face à l’alimentation non végétale et transformée, l’instinct fonctionne mal car les systèmes olfactif et gustatif sont trompés (notamment par la cuisson, l’ajout d’additives, de sucre raffiné, de sel, etc. pour rendre les aliments « attractifs »). Vous serez alors attiré par des aliments non physiologiques, et en consommerez en quantité bien trop importantes : seul le remplissage de l’estomac sera le facteur limitant ! Et c’est souvent à cause de cela que l’on entend souvent les personnes dire qu’elles n’arrivent pas à équilibrer leur alimentation, qu’elles ne savent pas quoi manger. L’épidémie d’obésité est en partie induite par ce facteur : en étant déconnectés de nos besoins face à une nourriture dévitalisée, nous surconsommons des aliments en vue de se sentir « nourris ». Et souvent, nous nous sentons « rassasiés » mais non « nourris ». On pourrait parler d’« hyperphagie hédonique »[3] conduisant au surpoids et à l’obésité. Les lipides sont essentiels à notre bon fonctionnement : nous sommes naturellement attirés par les aliments gras car les lipides participent à l’homéostasie énergétique. Lors d’un apport de corps gras en bouche, des signaux gustatifs sont envoyés au niveau intestinal par le nerf vague. La production d’endocannabinoïdes, des neurotransmetteurs lipidiques, dans l’intestin stimule alors l’appétit et la prise alimentaire[4]. Un fois que le chyme contenant des graisses pénètre dans l’intestin grêle, il provoque la formation de médiateurs lipidiques anorexinogènes qui favorisent la satiété.

Manger cru, ce n’est pas manger trois légumes qui se courent après, des pommes, des bananes et des oranges, quelques noix et fruits séchés, comme dit Dominique Guyaux. Manger cru, c’est interroger des dizaines d’aliments différents dont les caractéristiques diffèrent et que nous allons ordonner en suivant une logique réaliste en regard de leur nature. C’est se reconnecter à soi, à son corps pour l’écouter plutôt que de mentaliser. Pratiquer l’alimentation sensorielle et instinctive est le meilleur moyen de satisfaire les besoins de son corps et d’éviter les carences !

En pratique, pour se reconnecter à ce que le corps nous demande, il faut réapprendre à s’écouter. C’est donc un apprentissage qui ne se fait pas du jour au lendemain si on a eu des années d’alimentation laissant à désirer, mais qui se fait facilement. Il est recommandé d’avoir chez soi une abondance de denrées faisant parties des trois catégories d’aliments ci-dessous : les permanents, les saisonniers et les aléatoires. Etant donné qu’il est difficile de disposer de l’ensemble de la plage alimentaire chez soi, il est recommandé de faire un roulement entre les aliments en fonction de leur disponibilité naturelle afin de répondre aux besoins de notre organisme.

 

Aliment EXEMPLES  
PERMANENT Légumes, noix de coco, coquillages, algues, œufs 2 fois par jour (dont une fois le matin à jeun en cas d’appel sensoriel faible)
SAISONNIER Saisonniers courte durée : fruits frais ;

Saisonniers longue durée : oléagineux en coque (noix diverses et variées, caroubes, tamarin, casse, etc.).

2 fois par jour (en milieu de journée pour les fruits frais)
TRANSFORMÉ Aléatoires sucrés : fruits à très fort indice glycémique et séchés naturellement sur pied (dattes, figues, etc.), miels ;

Aléatoires protéinés : mer (poissons et crustacés), terre (viande fraîche et viandes affinées).

1 fois par jour mais pas toujours, sucre plutôt en milieu de journée, protéine plutôt le soir mais pas que, et si pas le soir, alors légumes)

Tableau : Classification des aliments par Dominique Guyaux (Source)

 

Essayez de consommer un seul aliment par prise alimentaire (mono aliment) ; Il est possible d’avoir plusieurs aliments sur un repas. Essayez sur la journée d’avoir 2 prises alimentaires de permanents, 2 de saisonniers et 1 prise aléatoire par jour. L’objectif n’est pas d’appliquer strictement toutes ces règles mais de les considérer comme un cadre, tolérant de nombreuses variantes pour absorber au mieux les contraintes de votre vie personnelle.

Chaque fois que vous avez faim, plutôt que de mentaliser (qui vous conduira à consommer un aliment au hasard), Dominique Guyaux recommande de choisir une catégorie (aliment permanent, saisonnier, aléatoire) de façon à ce qu’en fin de journée vous ayez respecté la règle du 2/2/1 (2 permanents, 2 saisonniers et 1 aléatoire), dans la mesure du possible au regard des contraintes de votre vie. Vous allez donc faire un choix sensoriel parmi les aliments composant cette catégorie (d’où la nécessité de maintenir une certaine diversité dans chacune des catégories, car si la diversité de la catégorie est trop faible pour que vous y trouviez votre bonheur, vous risquez de céder aux promesses inconditionnelles de la transformation et du culinaire). L’aliment qui retiendra votre attention sera l’élu : consommez-le jusqu’à ce que l’aliment ne présente plus d’intérêt (c’est-à-dire une fois vos besoins couverts) et que vous le rétrogradiez au rang de sortant. Si la faim est toujours là, il vous faudra alors trouver un aliment que vous possédez pour le remplacer.

Si vous ne trouvez pas d’aliment qui vous attire, cela signifie que vous n’arrivez pas à répondre aux besoins de votre organisme. La décision de consommer un aliment non élu se soldera souvent par un arrêt sensoriel rapide et une frustration : vous vous remplirez sans avoir la sensation de répondre à vos besoins et sans plaisir, et continuerez à manger aveuglément jusqu’à être complètement plein (car le corps cherchera les nutriments qui lui manquent sans le trouver).

Etes-vous près à intégrer petit à petit des moments d’alimentation sensorielle dans votre quotidien ?

 

Deux livres à lire :

[1] « L’éloge du cru : comment réconcilier alimentation et santé. » Dominique Guyaux. Editions Médicis. 2016.

[2] « Quality-space theory in olfaction. » Benjamin D. Young, Andreas Keller, and David Rosenthal. Frontiers in Psychology. 2014 ; 5: 1.

[3] Terme utilisé dans l’étude « Snack food intake in ad libitum fed rats is triggered by the combination of fat and carbohydrates. » Tobias Hoch, Monika Pischetsrieder and Andreas Hess. Frontiers in Psychology. 2014; 5: 250.

[4] « Intestinal lipid–derived signals that sense dietary fat. » Nicholas V. DiPatrizio and Daniele Piomelli. The journal of clinical investigation. 2015 Mar 2; 125(3): 891–898.

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